Depuis à peu près la fin du XXe siècle prévaut, dans nos sociétés, le dit « politically correct », qui met de l’avant un langage apte à ne froisser aucune susceptibilité, à camoufler toute caractéristique qui pourrait être jugée humiliante - pour tout dire une langue de bois… cependant que, par ailleurs, chacun revendique à qui mieux mieux sa singularité et exige le droit d’être reconnu pour ce qu’il se sent être véritablement et non pour ce qu’il peut sembler être. Voilà une injonction paradoxale, qui d’un même coup affirme qu’il n’y a pas de différence intrinsèque entre les êtres et promeut le droit à la différence. Nous avions pourtant appris que le langage était fait pour mettre au point la pensée : il faut croire qu’il peut y avoir langage sans qu’il y ait de pensée – ou, à tout le moins, que cette pensée soit préfabriquée, toujours prête à l’usage.
Nous vivons donc dans une société où chacun a développé une manière stéréotypée de parler, de penser ou d’agir dans le but suprême de ne déplaire à personne, de ne discriminer personne, de ne juger personne… mais tout en affirmant sa propre unicité. Exit la liberté d’esprit, et plus alarmant encore, la liberté de discussion et de contestation.
Et nous, les femmes, nous les éternelles infériorisées, sommes les premières victimes de cette indifférenciation, car dans cette indifférenciation nous sommes engluées – c’est là, à mon sens, que gît le point crucial de notre problématique actuelle. Comment nous faire reconnaître pleinement comme telles? Sans compter que, contrairement à ce que certains propagent, le masculinisme, lui, se porte bien, il n’est pas en crise, il peut même compter ses points : sous couvert de science, des hommes travaillent à s’accaparer notre pouvoir biologique de reproduction et de transmission des gènes, instaurant, avec les PMA (procréation médicalement assistée) et les GPA (gestation pour autrui), et tout récemment les bébés chinois OGM (organisme génétiquement modifié), un eugénisme de mauvais augure. D’autres, modernité oblige, ont mis au point le cyber harcèlement, qui vise à faire taire les femmes sur les réseaux sociaux. Etc. etc.
Mon âge m’inclinant au retour vers le passé, je me rappelle l’euphorie des années 70, ces années où, ayant pris pleine conscience de notre pleine infériorisation et fortes d’une solidarité qui franchissait allègrement les continents, nous saisissions notre problématique à bras-le-corps. Aujourd’hui, par contre, des femmes attaquent d’autres femmes, des femmes s’allient à ceux qui veulent nous maintenir en l’état, mobilisant des forces que nous aimerions mieux voir consacrées ailleurs… Aussi ne peut-on qu’admirer les combats que mène PDF Québec. Nous avons toutefois grand besoin d’aide, car nous, les femmes, sommes cernées de tous côtés. Les chances de victoire étant plus grandes si l’on sait opposer à l’adversaire ses propres armes, je dirais qu’il est temps de porter la lutte sur le front économique – un front primordial, fondamental : il est vraiment temps de nous attaquer à cette incroyable injustice qu’est l’inégalité salariale, de mettre fin aux difficultés économiques que rencontrent les femmes parce que femmes : aujourd’hui encore et en dépit des progrès incontestables que fait la mentalité des jeunes, elles accomplissent toujours une double tâche, ménagère et productive.
Et puis, il y a les femmes immigrées, les dites néo-québécoises, bien souvent laissées à leur sort de réfugiées sur un sol étranger : il en est, et peut-être plus qu’on ne le postule, qui ne sont pas prêtes à se sentir racisées, mais elles ont grandement besoin qu’on vienne à elles et qu’on leur tende la main.
Plus que jamais, mettons-nous y toutes : soyons vigilantes, soyons actives, soyons solidaires.
Andrée Yanacopoulo, PDF Québec