Du sexe et du genre
Aussi loin que l’on puisse
remonter dans le temps, les sociétés humaines ont affirmé et mis en pratique la subordination
des femmes. Avec des plus (je n’insisterai pas) et des moins
(matrilinéarité : l’individu relève du lignage de sa mère,
matrilocalité : après le mariage, le couple réside dans le village de
l’épouse – c’est l’inverse de notre
dicton « qui prend mari prend pays »). Mais de matriarcat,
point : historiennes et anthropologues ne se sont pourtant point fait
faute de le chercher, et comme elles ne l’ont jamais trouvé, il leur reste à expliquer cette universalité
de la condition féminine.
Quant
à notre dite « infériorité »,
les chercheurs ne se sont pas fait faute de la « démontrer ». Depuis les
années 70 toutefois, les chercheuses, elles, n’ont eu de cesse de
déconstruire scientifiquement leurs plus
superbes arguments « scientifiques ».
Il devint alors clairement établi que « on ne naît pas femme, on le
devient » (Simone de Beauvoir). Le temps passant, la norme
« hétérosexualité » est devenue la cible des luttes; les lesbianismes
féministe et politique ont occupé le devant de la scène et le féminisme
s’est,
en gros, réduit à la lutte antisexiste et non plus antipatriarcale. Est
alors
apparue, nous venant des États-Unis, la notion de « genre » (gender), pour désigner les différences
non biologiques entre les sexes : psychologiques, comportementales, sociales,
politiques, etc., à savoir tous ces attributs induits par la socialisation, ce
conditionnement qui inculque très jeune à l’enfant les normes socioculturelles
auxquelles il doit se conformer pour être considéré comme normal, c’est-à-dire
conforme à l’individu sexué qu’il est. Mais une enflure du terme s’est peu à
peu produite : des individus biologiquement hommes se sont mis à se
« sentir » femmes, des femmes (curieusement moins nombreuses) se sont mises
à « se sentir » hommes; il en est même qui se sont
« sentis » d’un troisième sexe, d’autres enfin de tous les sexes… C’est
là un phénomène hautement pernicieux : puisque nos compétences, nos dispositions,
nos goûts, nos réactions, bref notre psyché, relèvent en grande partie d’un
apprentissage, dire que l’on « se sent » de tel ou tel sexe
biologique revient à endosser tous ces stéréotypes sexistes contre lesquels, en
tant que femmes, nous avons tant lutté et continuons de lutter. Autrement dit, non seulement la notion de
« genre » est inutile, car elle n’apporte rien au débat, mais elle
est délétère, car elle met à plat tout ce contre quoi nous n’avons cessé et ne
cessons de lutter.
Continuons en conséquence à
parler de « sexe biologique » et de « sexe social ».
Andrée Yanacopoulo