mercredi 4 mai 2016

De quelques classiques féministes

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On ne peut que mieux voir l’aujourd’hui à regarder le passé plus ou moins récent, que s’enrichir à revisiter nos proches d’hier, que mieux évaluer nos progrès et nos reculs, nos gains et nos pertes.


Kate Millett (Saint Paul, Minnesota, 1934-)

La politique de la cruauté (2010)
En Iran (1979)
La Cave, méditation sur un sacrifice humain(1979)
Sita (1978)
En vol (1975)
La prostitution, quatuor pour une voix féminine (1973)
La politique du mâle (1970)




Elle l’affirme, elle l’explique, elle l’analyse, elle le développe : « La sexualité a un aspect politique ». « L’essence de la politique étant le pouvoir », on en déduit aisément que le patriarcat est, dans son ensemble, une « institution politique » et la domination sexuelle, « sans doute l’idéologie la plus répandue de notre culture. »



Marilyn French (New York, NY, 1929-2009)

Toilettes pour femmes (1977)
Les bons sentiments (1980)
La fascination du pouvoir (1985)
Telle mère, telle fille (1987)
La guerre contre les femmes (1992)




Depuis près de quatre mille ans, les hommes nous font la guerre. Une guerre totale et cohérente, aux fronts divers parfaitement raboutés les uns aux autres : discrimination économique et politique, subordination au nom des religions, domination de notre corps, oblitération de notre histoire. Les institutions elles aussi font preuve de « haine » à notre endroit : l’éducation, la médecine, la justice (assassiner une prostituée, un homosexuel, ce n'est pas tuer « des êtres humains à part entière ». Et puis, il y a la guerre culturelle : l’art, les médias, la pornographie, la publicité. « Voici venu le temps de la contre-attaque […] Une espèce peut-elle espérer survivre lorsqu’une moitié de ses membres agresse systématiquement l’autre? »

jeudi 10 mars 2016

De quelques femmes remarquables - 4

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Voici quatre femmes, quatre personnalités bien différentes, quatre vies « incomparables » … mais qui toutes ont prouvé par leurs actes qu’elles valaient largement les hommes.


Hatsepshout (Égypte, entre 1508 et 1495 av. JC – Égypte, vers 1457 av. JC)



Pendant les 21 années de son règne, elle porte la fausse barbe traditionnelle des pharaons et autres costumes propres à sa fonction, des vêtements d’homme, une armure en métal pour dissimuler sa poitrine… Elle donne à son nom une terminaison masculine, dirige comme un roi et non comme la régente que, en principe, elle était. Son règne, pacifique, se marque surtout par l’importance des expéditions commerciales qu’elle organise en Phénicie (Liban d’aujourd’hui), au Sinaï et ailleurs. Elle a été, lit-on, l’un des bâtisseurs (!) les plus prolifiques d’Égypte. Bref, comme le dit l'égyptologue James H. Breasted, la « première grande femme dont l'histoire ait gardé le nom ». Oui, même si son successeur Toutmosis III eut à cœur d’effacer les inscriptions de son nom sur nombre de monuments, celle-ci tout de même lui échappa, qui dit « Dame de la terre entière, maîtresse du double pays ».


Marie de Gournay (Paris, 1565 – Paris, 1645)


Amie de longue date de Michel de Montaigne, de sa femme et de leur fille Léonor, sa « sœur d’alliance » (d’où son surnom de « Fille d’alliance de Montaigne »), elle publia la première édition posthume des Essais. Elle ne se maria jamais, mais elle voyagea. Et elle écrivit, beaucoup, notamment Égalité des hommes et des femmes (1622) : « L'homme et la femme sont tellement uns, que si l'homme est plus que la femme, la femme est plus que l'homme... » (formulation modernisée) et un bref mais savoureux article, Grief des Dames : « Bienheureux es-tu, lecteur, si tu n’es point de ce sexe, qu’on interdict de tous les biens, l’interdisant de la liberté : ouy qu’on interdict encore à peu près, de toutes les vertus, luy soustrayant le pouvoir, en la moderation duquel la pluspart d’elles se forment ; afin de luy constituer pour seule felicité, pour vertus souveraines et seules, ignorer, faire le sot et servir. »


Madeleine Pelletier (Paris, 1874 – Paris, 1939)


Anthropologue, elle étudie le rapport entre le volume du crâne et l'intelligence selon les théories de Broca, mais rejette rapidement l’idée d’un quelconque rapport entre les deux et refuse par conséquent l’idée alors courante que, du fait même de leur plus petite taille, les femmes seraient intellectuellement inférieures aux hommes. Elle se tourne ensuite vers la médecine, devient la première femme en France à être interne dans un établissement psychiatrique d’État – et s’empresse de dénoncer les internements abusifs. Secrétaire d'une organisation (l’une des plus radicales de l’époque) intitulée La Solidarité des femmes, elle part pour Londres en 1908 représenter ce groupe aux manifestations de Hyde Park organisées par les suffragettes londoniennes. Toujours vêtue comme un homme, mais refusant de faire une demande de « travestissement » aux autorités concernées, elle déclare : « Je montrerai les miens [les seins] dès que les hommes commenceront à s'habiller avec une sorte de pantalon qui montre leur… »


Irena Sendlerowa, dite Irena Sendler (Otwock, 1910 – Varsovie, 2008)


En pleine Occupation, elle s’emploie à faire sortir les enfants du ghetto de Varsovie. Tous les moyens lui sont bons : égouts, ordures, boîtes à outils ou sacs à pommes de terre… elle en sauvera 2500. Arrêtée par la Gestapo, soumise à des tortures qui la laisseront à jamais infirme, elle garde le silence. Condamnée à mort, elle est sauvée de justesse. Soucieuse de voir les enfants récupérer leur identité après la guerre, elle avait constitué une liste de leurs noms et enfoui celle-ci dans une jarre de verre enterrée sous un arbre au fond de son jardin, laquelle fut retrouvée. Elle est reconnue « juste parmi les nations » par Yad Vashem en 1965.


Andrée Yanacopoulo

jeudi 28 janvier 2016

Du viol et autres dols

Le viol, c’est l’acte absolu par lequel les hommes affirment leur pouvoir sur les femmes – et leur pouvoir tout court. Prenons pour exemple, parmi les différents contextes dans lesquels il peut y avoir viol, le cas des guerres. Récompense du vainqueur et plus particulièrement du soldat (le « repos du guerrier »), il a, nous dit Susan Brownmiller dans sa pénétrante et avant-gardiste étude de la chose (1975), accompagné les guerres de religion, les guerres révolutionnaires, les guerres de conquête… toutes les guerres. Les justifications des violences sexuelles contre les femmes de l’ennemi varient, mais l’usage reste la norme. Arme de terreur, par exemple lorsque, pendant la Première Guerre mondiale (1914-18), les Allemands envahissent la Belgique neutre et se livrent à moult violences y compris des viols. Arme psychologique, ainsi les viols collectifs des Chinoises, lors de la Seconde Guerre mondiale, afin de renforcer la fraternité entre les soldats de l’armée impériale japonaise. Arme pour ainsi dire marchande dans le cas des bordels institués par Himmler dans cinq grands camps de concentration au profit des détenus dans le but d’accroître la productivité de ces derniers – et par la suite viols de ces mêmes femmes par leurs libérateurs. Arme de vengeance comme en 1945, lors de l’occupation de Berlin par les soldats russes : lorsque des femmes allemandes se rencontrent, chacune, en guise de salut, pose à l’autre la question « Combien de fois? » Et l’on pourrait aisément remplir des pages et des pages : viols collectifs de My Lai par les soldats américains en 1968, « camps de viols » mis en place par la Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995 et grossesses forcées des femmes musulmanes « pour faire circuler le sang serbe »; utilisation du viol comme instrument de nettoyage ethnique au Rwanda en 1994 – il semble que 70% des femmes violées auraient alors été contaminées par le sida. Etc., etc., etc., ad nauseam. D’ailleurs, depuis 2008, le viol en temps de guerre est reconnu comme « tactique de guerre » par le Conseil de sécurité des Nations Unies : c’est tout dire.

Paradoxalement, de ce crime dont elles sont victimes et qui va parfois pendant longtemps laisser en elles des traces délétères, les femmes se sentent honteuses, voire coupables. Or, il y a eu effraction, vol de leur intimité, il leur faut travailler à transformer cette honte en colère, en lucidité : le coupable de cet acte vil, ce n’est pas elle, c’est il – l’homme.

Mais nous devons aussi agir collectivement. Par exemple, habituer filles et garçons à l’égalité de traitement dans le milieu familial, exiger de l’État qu’il réinscrive le cours d’éducation sexuelle au programme des établissements scolaires… N’oublions pas, toujours et partout :

Viol = vol = vil = il.

Andrée Yanacopoulo, PDF Québec

dimanche 10 janvier 2016

De quelques femmes remarquables - 3

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Aujourd’hui, je vous présente des femmes remarquables peu connues.



Al-Kâhina, dite la Kahena (Région de l’Aurès, 674?-704)

Personnage légendaire mais dont l’historicité est certaine, surnommée « la devineresse », dite « La reine des Berbères de l’Ifriqiyya », elle incarne la résistance berbère contre la conquête arabe au VIIe siècle. Guerrière résolue, elle reste, au-delà des récits véhiculés par la tradition, celle qui a fièrement revendiqué liberté et dignité pour son peuple. En 2003, une statue lui a été élevée à Khenchela (en berbère « Khenchelt »), dans l’est algérien. Laissons cette grande personnalité devenue figure mythique nous inspirer dans nos combats de femmes.


Emily Davison (Blackheathe, 1872-Epsom, 1913)

Suffragette, militante au sein de la Women’s Social and Political Union (WSPU) créée en 1903 par Emmeline Pankhurst, elle a été à neuf reprises emprisonnée pour cause de désobéissance civile. Le 4 juin 1913, pendant le Derby d’Epsom, elle arrive à gagner la piste et à se précipiter sur un cheval en pleine course avec l’intention, disent certaines, de lui accrocher au cou les couleurs de la WSPU. Grièvement blessée, elle finira par mourir quelques jours plus tard. Suicide ou accident? Impossible de se prononcer.


Louise Weiss (Arras, 1893-Magny-les-Hameaux, 1983)


Née dans une riche famille d’origine alsacienne, agrégée de lettres et diplômée d’Oxford, elle est habitée par la fièvre des combats. Pacifiste dans l’âme, elle rêve de voir réunies la France et l’Allemagne, se porte à la défense de la Société des nations. Féministe inconditionnelle qui veut « défendre les femmes contre les autres et contre elles-mêmes » (les Françaises lui paraissent bien timorées et « élevées à l’école de la résignation » en comparaison des Anglaises et des Américaines), elle se battra toute sa vie pour obtenir l’égalité civique et politique entre les femmes et les hommes, et en attendant, faute d’avoir le droit de vote, se prévaudra du droit à l’insurrection : un beau jour de 1936, avec ses compagnes de l’association La femme nouvelle, les femmes s’enchaînent les unes aux autres, bloquant toute circulation dans la rue Royale, à Paris.


Elizabeth Zaroubine (Bessarabie, 1900-?, 1987)


Elle participe activement au mouvement révolutionnaire qui devait en 1917 faire de la Bessarabie la très éphémère République démocratique moldave (aujourd’hui rattachée à la Roumanie). Puis, elle joint les rangs du parti communiste autrichien. Après moult péripéties, elle épouse l’espion Vassily Zaroubine, partage ses activités et devient rapidement maîtresse en la matière. Elle arrive à faire pénétrer, dans le cercle ultrasecret qui entoure à El Alamos le directeur scientifique du Projet Manhattan, Robert Oppenheimer, des agents russes grâce auxquels la Russie pourra, quelques années à peine plus tard, fabriquer sa propre bombe atomique.


Andrée Yanacopoulo