jeudi 14 août 2014

De la prostitution


De la prostitution 

À vouloir l’interdire ou du moins la réglementer, on passe vite pour une dispensatrice de leçons de morale, disons le mot : de dame patronnesse – de celles qui, dans le premier tiers du xxe siècle, ont obtenu aux États-Unis que soit instaurée dans la totalité du pays la fameuse Prohibition aux désastreuses conséquences que l’on connaît. Il est clair que lorsque nous, femmes de PDF Québec, prônons la criminalisation des clients, souteneurs, vendeurs et trafiquants parallèlement à la décriminalisation des prostituées, ce n’est pas au nom d’une certaine morale puritaine mais en considération d’une conception éthique : nous refusons que soit outragée la dignité d’un être humain, quel qu’il soit. Car nous visons à son épanouissement, non au maintien de son avilissement.

Et c’est bien d’avilissement qu’il s’agit dans le cas de la prostitution. Laissons de côté les fières jeunes femmes qui proclament avoir délibérément choisi cette occupation, et les glorieuses escortes dont on nous dit qu’elles font fortune – leur proportion est faible. Pensons bien plutôt à toutes celles que les hommes traitent comme une vile marchandise, pensons bien plutôt au mépris qu’ont les hommes pour ces femmes dont ils disent ne pouvoir se passer.

On sait, d’elles, que bien souvent elles sont pauvres, démunies devant la vie; qu’elles ont vécu, enfants, des violences diverses voire des abus sexuels, engendrés par l’alcoolisme, par la prise de drogue – ou par rien de plus que la volonté masculine d’afficher sa domination. On sait que ce qu’il y a d’horrifiant dans ces traumatismes, c’est que non seulement ils ruinent la plupart du temps la jeunesse de la victime, mais qu’ils marquent à ce point cette dernière que, rendue à l’âge adulte, elle risque très souvent de reproduire le schéma vécu : la fille d’alcoolique épousera un alcoolique, la victime d’inceste deviendra prostituée – les deux pouvant à loisir se conjuguer. D’où l’extrême difficulté d’en sortir, d’où l’extrême nécessité de les aider à en sortir.

Le client, lui, n’est tenu à rien, ni de s’être lavé ni de mettre un préservatif, ni d’être gentil ni d’être violent : la prostituée, il peut lui/en faire ce qu’il veut puisqu’il a payé pour ça. Une prostituée, ça doit tout accepter. D’ailleurs, ça peut disparaître sans qu’on s’en inquiète particulièrement. Et puis, c’est comme un kleenex, ça se jette après usage. J’insiste sur le « ça ». La désignation même de la prostituée est une injure : « Putain! », « Fils de pute! »

Alors, toutes ensemble, aidons à faire de ce « ça » un « ego » haut et clair.
Andrée Yanacopoulo

Suggestion de lecture : La prostitution. Un métier comme un autre? Yolande Geadah,
Montréal, VLB éditeur, 2003.

1 commentaire:

  1. Andrée, vous avez ici eu le don et l'art, encore une fois, d'exprimer en quelques paragraphes concis le noeud de cette problématique complexe. Merci.

    Johanne Heppell

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