lundi 23 novembre 2015

Du désir d'enfant

« L’irrésistible désir de naissance » dont parlait le Dr René Frydman en 1986 est devenu depuis quelque temps le « DROIT À l’enfant ». Homosexualité, stérilité ne « doivent » plus être des obstacles, tous et toutes « doivent » pouvoir bénéficier des capacités de reproduction dont jouissent les femmes grâce à ce qui a pris pour nom la procréatique.

Volonté acharnée de maîtrise du vivant, de mécanisation et de robotisation toujours croissantes de l’être humain? Question d’éthique ? Certes, mais bien plutôt, d’abord et primant tout, question de féminisme, question du traitement des femmes par la société.

C’est probablement au néolithique, c’est-à-dire à l’époque où l’élevage des animaux était passé dans les mœurs, que l’observation de leur comportement a conduit à découvrir le rôle du sexe masculin dans l’engendrement. Depuis, sexualité et procréation se sont de plus en plus dissociées – au point de penser de nos jours qu’il suffisait, pour se reproduire, de fournir en spermatozoïdes et en ovocytes le ventre d’une femme, quelle qu’elle soit. Une femme pauvre, bien évidemment, qui, moyennant finances, aura ainsi loué à autrui son utérus et neuf mois de sa vie afin de mener à terme la fabrication d’un enfant qu’il lui faudra impérativement remettre dès sa naissance à ses clients, sans même avoir le droit de l’embrasser. Ces mères porteuses ont vite été captées par des entreprises spécialisées dans la mise en place du bonheur des aspirants-parents. Est-il utile de le préciser? Ces firmes, qui se proclament armées des meilleures intentions du monde (ce sont en fait celles dont l’enfer est pavé), réalisent des bénéfices énormes, car le commerce d’enfants est vite devenu très lucratif.

On n’est pas loin du mythe – ou faut-il parler du fol espoir ? – de l’homme enceint, un thème courant dans bien des cultures traditionnelles, et qui se poursuit aujourd’hui avec l’irruption des dits transgenres. C’est pourtant l’évidence même pour qui veut bien voir que le roi est nu : on a beau se maquiller et porter bas, robe longue et boucles d’oreilles, on n’en est pas moins physiologiquement homme (et allaiter un poupon tout en portant ostensiblement une barbe bien fournie ne change rien au fait d’être physiologiquement femme).

Bref, l’homme n’a eu et continue à n’avoir de cesse que de chercher à s’accaparer, à s’approprier ce qu’il n’a pas mais que possède la femme. On arrivera sûrement à se passer de nos ventres (la recherche sur les incubateurs, les couveuses artificielles et autres substituts va bon train), on ne pourra jamais se passer de nos ovules. (On peut par contre se passer du sperme : quand bien même, par la parthénogenèse, ne peuvent naître que des filles, après tout, pourquoi ne pas aspirer à un monde peuplé majoritairement de femmes ?)

Il y a plus grave. De plus en plus se manifeste la volonté de passer commande d’un enfant parfait, un enfant sur mesure : ne sont pas loin les lebensborn mis en place par le régime nazi, et les prétentions de l’eugénisme. Serait-il déplacé de rappeler qu’il existe des institutions comme l’adoption, ou le parrainage ?

Tout aussi préoccupante sinon plus est la question du « DROIT DE l’enfant ». Un droit menacé. Or nous, féministes, nous nous devons de protéger cet être qui, bien souvent et en dépit des nombreux accords internationaux signés de par le monde, est à la merci des adultes.

Pendant la grossesse, des liens s’établissent entre le fœtus et la mère. Le futur bébé est sensible aux sons, à la parole – ce qui prépare le terrain à son apprentissage du langage; ainsi, des comptines entendues alors et répétées lorsqu’il prend sa tétée accélèrent les battements de son cœur, etc. Bref, quelles traces la vie in utero laisse-t-elle sur la psyché de l’enfant? Et plus tard, lorsqu’il sera en quête de son identité, comment ne pas lui répondre qu’on l’a acheté au Grand Marché des Enfants? Etc., etc. Autant de points à approfondir avant d’aller plus loin : nous n’avons pas le droit d’hypothéquer ainsi l’avenir d’un être humain.

La chose est claire : les hommes n’auront de cesse qu’ils se seront approprié le processus complet de la reproduction. Question d’éthique ? Bien plutôt, d’abord et avant tout, question de féminisme. Car le monstre entrepreneurial, néolibéral et patriarcal est en train de siphonner toute notre féminine « substantifique moelle ».

Andrée Yanacopoulo, PDF Québec

jeudi 6 août 2015

De quelques hommes remarquables

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Platon, dans sa République, prône l’égalité entre les hommes et les femmes au nom de la justice sociale – sans plus. Mais il y eut Aristophane. Et depuis, bien plus tard, d’autres hommes qui, eux, sont allés bien plus loin…



Aristophane (Athènes, vers 445 av. JC – Delphes, vers 375 av. JC)





Dramaturge prolixe dont seules onze comédies sur la quarantaine qu’il a écrites et fait jouer nous sont parvenues, ami de Socrate qu’il ne se gêne pas pour moquer dans ses pièces, il vise avant tout à faire rire, mais sans le vouloir nous instruit fortement sur tous les détails de la vie en Grèce à son époque. Renversant délibérément les rôles sexuels traditionnels de son temps, il nous montre des femmes décidées à tout, qui se révoltent contre la domination des hommes : dans Lysistrata (411 av. JC), elles décident de faire la grève dudit devoir conjugal, s’emparent de l’Acropole; dans L’Assemblée des femmes (vers 392 av. JC), elles prennent de court les hommes et décident dès l’aube des mesures à entreprendre pour sauver la cité; dans Les Thesmosphories (vers 411 av. J.), elles se vengent contre Euripide et sa misogynie… Riez, riez, il en restera toujours quelque chose…


François Poullain de la Barre (Paris, 1647 – Genève, 1725)



Prêtre catholique converti au calvinisme, il s’exile à Genève trois ans après la révocation par Louis XIV de l’Édit de Nantes en 1685 - cet édit qu’avait promulgué Henri IV en 1598 dans le but de mettre fin aux guerres de religion entre catholiques et protestants. Il est convaincu que « l’esprit n’a pas de sexe », que les femmes considérées selon les principes de la saine philosophie sont autant capables que les hommes de toutes sortes de connaissances. C’est ce qu’il développe longuement dans ses ouvrages : De l’égalité des deux sexes. Discours physique et moral, où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés (1673), De l’éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et la religion, entretiens (1674), De l’excellence des hommes contre l’égalité des sexes (1675). « Jusqu’ici, écrit-il, chez tous les peuples, l’inégalité légale a existé entre les hommes et les femmes. […] Je demande maintenant […] que surtout on me montre entre les hommes et les femmes une différence naturelle, qui puisse légitimement fonder l’existence du droit. »



Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet (Ribemont, 1743 – Bourg-la-Reine, 1794)



Brillant mathématicien dans ses jeunes années (il jette les bases de ce qui deviendra l’analyse statistique, puis publie dans le domaine du calcul intégral des travaux acclamés par ses pairs) il est, vers la trentaine, approché par Turgot et entre en politique. Il va rapidement s’engager dans la défense des Noirs, des femmes, des miséreux, et fait entre autres paraître le 3 juillet 1790 un texte d’une dizaine de pages intitulé Sur l’admission des femmes au droit de cité : « Est-il une plus forte preuve du pouvoir de l’habitude, même sur les hommes éclairés. Que de voir invoquer le principe de l’égalité des droits en faveur de deux ou trois cents hommes qu’un préjugé absurde en avait privés, et l’oublier à l’égard de douze millions de femmes? » « […] aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes; et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. »



John Stuart Mill (Londres, 1806 – Avignon, 1873)



Enfant précoce grâce à l’éducation que lui donna son père, lui-même philosophe et économiste reconnu, il prône la théorie utilitariste de son parrain Jeremy Bentham sous la forme d’une morale qu’il appelle « la théorie du bonheur ». Partisan de l’égalité des sexes, il publie en 1869 un texte traduit en français sous le titre De l’assujettissement des femmes (un temps connu comme De la sujétion des femmes). « Je crois que les relations sociales des deux sexes qui subordonnent un sexe à l’autre au nom de la loi, sont mauvaises en elles-mêmes et forment aujourd’hui l’un des principaux obstacles qui s’opposent au progrès de l’humanité; je crois qu’elles doivent faire place à une égalité parfaite, sans privilège ni pouvoir pour un sexe, comme sans incapacité pour l’autre. » « […] l’opinion favorable au système actuel, qui subordonne le sexe faible au sexe fort, ne repose que sur la théorie; on n’en a jamais essayé d’autre, et l’on ne peut prétendre que l’expérience, ce que l’on regarde généralement comme l’opposé de la théorie, ait prononcé. »


Andrée Yanacopoulo


vendredi 10 juillet 2015

De la dite islamophobie

« Islamophobie » : un mot qui circule beaucoup de nos jours, un mot in.

Que veut-il dire au juste ? Par « phobie », on entend la peur, le rejet, l’aversion. Par « islam », on désigne la religion musulmane : notez la minuscule. Si, en plus de la religion, on veut parler globalement des peuples qui la professent et de la culture par elle engendrée, on parlera de « l’Islam » : noter la majuscule. Parler d’islamophobie, c’est donc évoquer à la fois l’islam et l’Islam – et c’est là que la confusion commence. De plus, l’usage de ce terme a pris des proportions telles que, par pur automatisme social, on mêle tout : l’immense majorité des simples pratiquants, les radicaux, les intégristes et la violence destructrice des djihadistes, ouvrant ainsi la porte à la discrimination ethnique et/ou religieuse, voire au racisme. Il est donc devenu nécessaire d’en rappeler et l’histoire et le sens.

Utilisé, semble-t-il, dans quelques travaux remontant au début du XXe siècle (ce serait les Français qui l’auraient introduit), « islamophobe » et « islamophobie » ont, chose sûre, été admis dans Le Petit Robert en 2005. De fait, lorsqu’en 1979, le régime du shah d’Iran a été renversé et qu’est née, sous l’influence de l’ayatollah Khomeini, une république islamique pure et dure, les femmes qui s’opposaient au port du tchador se sont fait accuser de ne pas respecter la religion musulmane – d’être par voie de conséquence islamophobes. Avec les attentats du 11 septembre 2001 (New York), du 11 mars 2004 (Madrid) et des 7 et 21 juillet 2007 (Londres), alors que, horrifié, le monde entier en dénonçait les auteurs et la religion dont ils se prévalaient, les accusés, c’est-à-dire les terroristes, se sont faits de plus en plus accusateurs – et la vogue du terme n’a fait que grandir. C’est donc bien des fous d’Allah, de ceux qui nous ramènent des siècles en arrière, aux heures les plus sombres de l’histoire de l’Occident à savoir celles des invasions barbares de l’empire romain, que nous vient cette appellation.

Malheureusement, la peur de voir se répéter de tels massacres a étendu la suspicion à quiconque se réclamait de la religion mahométane, car les actes et les paroles de ces extrémistes ont jeté le discrédit sur l’ensemble de la communauté musulmane, quant à elle paisible – et d’ailleurs ayant immigré pour justement échapper au régime islamique meurtrier de leur pays natal. On s’est vite mis à tout confondre, oubliant que bien des musulmans, simples fidèles, voire non-croyants ou non-pratiquants, en appellent aujourd’hui, par leurs déclarations, leurs textes, leurs essais, etc., à la tolérance, à la liberté, au respect d’autrui sous toutes ses formes, à l’universalité de la pensée. Ce sont eux les authentiques descendants spirituels de cet Islam qui, entre le VIIIe et le XVe siècles – une période que nous, nous qualifions d’« obscur Moyen-Âge » – était occupé à déchiffrer et traduire d’importants manuscrits grecs et indiens au bénéfice du savoir universel, et faisait en philosophie, en mathématiques, en astronomie, en physiologie, etc., d’importantes découvertes scientifiques. Eux aussi, ne l’oublions pas, sont victimes de la terreur islamique, de la « guerre sainte » menée par les djihadistes à l’encontre de tous ceux et celles qui n’acceptent pas leur vision.

Pour ma part, je me suis, faute de mieux, forgé un synonyme, un mot de remplacement qui me paraît éloquent : « barbarophobie ». Or voilà que, il y a quelques jours seulement, je l’ai retrouvé sous la plume d’un historien traitant de la fin de l’empire romain, lorsque ce dernier fut, au Ve siècle, envahi par les Goths, les Huns, les Alains, les Wisigoths, etc. !

« Islamophobie » : un mot à éliminer de notre vocabulaire, un mot out.

mercredi 13 mai 2015

De quelques femmes remarquables - 2

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Aujourd’hui, des femmes remarquables peu connues… et ne se revendiquant pas comme féministes! Bien sûr qu’il y en a eu!

Et après ?



Maria Montessori (Chiaravalle, Italie, 1870 - Noordwijk am Zee, Pays-Bas, 1952)





Bien que diplômée en médecine (en 1896), c’est à l’éducation qu’elle veut se consacrer. Elle donne ses soins aux enfants pauvres, aux défavorisés que personne ne peut ou ne veut prendre en charge. Peu à peu, elle développe ses activités et se consacre aux déficients (enfants retardés sur le plan intellectuel ou atteints d’autisme). Puis, le succès aidant, elle en vient à s’occuper d’enfants normaux, pour lesquels elle met véritablement au point sa méthode : une méthode ouverte, basée sur les aptitudes individuelles et sur le dialogue, chacune/chacun partageant avec les autres son savoir-faire (enseignement mutuel) – bref, une éducation personnalisée, adaptée aux aptitudes et aux talents personnels. On compte aujourd’hui, de par le monde, plus de 20 000 écoles qui portent son nom.


Barbara McClinclock (Hartford, 1901- New York, 1992)



Une variété rare de scientifique, un genre en voie d’extinction : cette spécialiste en cytogénétique a, pendant quarante ans, en solitaire et en dépit de toutes les injustices subies au long de sa carrière parce que femme dans un milieu à forte prédominance masculine, observé le comportement du génome du maïs au cours du phénomène de la reproduction. Elle a montré que, loin d’être à jamais fixé, le génome est sujet à modifications : certains de ses éléments (transposons) se déplacent et vont s’insérer ailleurs dans la chaîne. C’était là une découverte révolutionnaire, qui devait asseoir à jamais l’influence du milieu sur le donné génétique et expliquer ainsi l’évolution du vivant et la biodiversité. Elle est, jusqu’à ce jour, la seule femme à avoir été la récipiendaire unique du Prix Nobel de médecine ou physiologie.



Lucille Teasdale (Montréal, 1929 – Besana in Brianza, 1996)



Médecin spécialisée en chirurgie (ce qui est rare à l’époque), elle rencontre au cours de ses études un Italien, le Dr Pietro Conti, dont l’ambition est d’aller pratiquer en Afrique, dans le nord de l’Ouganda (le pays acquerra son indépendance en 1961). Elle l’y accompagne, puis l’épouse. Ensemble, ils revitalisent ce qui n’était qu’un dispensaire et qui deviendra, grâce à leurs soins constants, l’hôpital St. Mary’s Lacor, à Gulu. Puis ils lui adjoignent une école d’infirmière, y font donner des cours pour éducateurs dans le domaine de la santé. C’est en pratiquant une opération que, ses gants s’étant déchirés, elle sera contaminée par le sang d’un malade porteur du VIH (virus de l’immunodéficience humaine). Retirée dans une commune de la Lombardie, au nord de l’Italie, elle y mourra du sida.



Anna Walentynowicz (Rowne, aujourd’hui en Ukraine, 1929 - Smolensk, 2010)




Opératrice des grues durant de longues années dans les chantiers navals de Gdańsk (Pologne), elle est de toutes les grèves. Inlassable, elle regroupe les ouvriers en leur faisant prendre conscience de leurs droits. On est sous le joug communiste, les activités associatives sont mal vues par le pouvoir, et elle finit par être licenciée en 1980, à cinq mois de sa retraite. Cette injustice manifeste entraîne une grève massive des travailleurs et la cofondation, par elle et par Lech Walesa, du premier syndicat autonome à voir le jour sous un régime communiste : Solidarność. Elle sera des 96 passagers appelés à périr lors de l’accident de l’avion qui transportait une délégation polonaise (le président du pays y compris) partie rendre hommage aux victimes de Katyn.


Andrée Yanacopoulo


vendredi 27 mars 2015

De la transidentité

De la transidentité



Je suis « Je » mais aussi « Nous ». Mes comportements, ma façon de penser, mes aspirations sont à la fois miennes propres et influencées, voire façonnées, par ceux et celles avec qui je vis, bref, à la fois je leur ressemble et je m’en différencie. Ce qu’exprime très bien le mot « identité » – ce mot qui, comme quelques rares autres (défendre, desservir), veut dire à la fois une chose et son contraire : « identité » me renvoie à  la « similitude » entre deux objets, mais aussi à la « spécificité » de tel ou tel objet.

Pourquoi et comment sommes-nous qui nous sommes? Répondre par la classique question «hérédité ou culture? » n’a plus de sens, on le sait, car si l’une et l’autre interviennent, ce n’est pas en simplement s’additionnant, c’est  en  interagissant de façon incessante l’une sur l’autre. Mais alors, quel en est le mécanisme au plan organique, physiologique? Autrement dit, quelles relations le cerveau, dans son développement, entretient-il avec le milieu? Les cellules nerveuses cérébrales, dites neurones, communiquent entre elles par des canaux de transmission fort complexes, fort élaborés, qu’on appelle les synapses. Selon  l’éducation, le vécu, les hasards de la vie, ces synapses se construisent ou se détruisent, en conséquence de quoi des capacités, des compétences apparaissent ou disparaissent : on a affaire à un ensemble dynamique, à un processus continu.  Jusqu’à la puberté, la production de synapses est maintenue à sa valeur maximale, c’est le temps où l’individu fait  ses apprentissages (sensoriel, cognitif, moteur). Puis, brusquement, 40% des synapses, on ne sait trop pourquoi, disparaissent, signant la perte définitive d’un certain nombre d’aptitudes à l’acquisition d’apprentissages nouveaux. Et à la vieillesse, on assiste à la perte massive de ces synapses.
 
Ainsi donc, à mesure que nous grandissons, nos expériences s’inscrivent littéralement dans notre cerveau pour former avec notre donné génétique un complexe indissociable, qui nous est propre et qui va, avec le temps, conditionner  nos façons de penser, de réagir, de sentir, bref, notre personnalité, pour faire de nous un être à nul autre réductible. Un être qui porte fortement l’empreinte, d’abord familiale, de son passé.  Mais aussi celle de l’environnement : la culture, les normes comportementales qui en émanent, imposent des comportements différents selon diverses variables dont principalement le sexe (du moins en l’état actuel des choses) : comme  la sélection opérée par le cerveau reflète les influences reçues et les expériences vécues, le processus dit d’individuation prendra des voies différentes selon qu’on est fille ou garçon : on deviendra  « femme » ou « homme », un être affecté d’attributs socialement reconnus, venus se mouler sur des caractéristiques qui lui sont propres.

Ainsi donc, pas plus que le sexe biologique mais pour d’autres raisons, le sexe social ne peut se balayer à la commande, car il est très fortement inscrit à la fois dans la psyché et dans le corps. Voilà pourquoi un transgenre ne peut être véritablement du sexe auquel il/elle prétend : un simple coup de dés ne saurait abolir l’homme ou la femme que le temps a fait tel qu’il/elle est. 

In cauda venenum,

Andrée Yanacopoulo, PDF Québec

lundi 2 mars 2015

De quelques femmes remarquables - 1

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Il y en a tellement !
Il y en a tellement eu !
Sans compter toutes ces femmes de l’ombre dont l’histoire n’a pas, ou si peu, retenu le nom et qui pourtant…



Olympe de Gouges (Montauban, 1748-Paris, 1793)



De son vrai nom Marie Gouze, elle se présente comme une femme de lettres. Ses œuvres (roman, théâtre) sont mineures, mais son attention aux problèmes de son époque est remarquable, et c’est à l’occasion des événements de la Révolution française qu’elle va révéler ses qualités d’énergie, de courage et de sympathie avec les délaissés et les opprimés. Elle appelle en 1789 à la création d’une « maison de charité » réservée aux femmes, publie en 1791 les dix-sept articles d’une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, dédiée à la reine Marie-Antoinette, dans laquelle elle réclame l’égalité entre hommes et femmes : « Ô femmes ! femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles », « Dans les siècles de corruption, vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes ». « Femme, réveille-toi! », et puisque nous avons « le droit de monter sur l’échafaud », obtenons celui de « monter à la tribune ». Olympe de Gouges ne jouira jamais que du premier : le 3 novembre 1793, la guillotine lui fera un sort.


Éva Circé-Côté (Montréal 1871-Montréal, 1949)



Musicienne, poète, peintre, première bibliothécaire de la première bibliothèque publique de Montréal, elle s’affirma de plus en plus comme chroniqueuse et journaliste. Usant de pseudonymes divers (masculins la plupart du temps, ainsi le voulait l’époque) qui retarderont la découverte de son œuvre, elle ne craint pas d’apostropher, et parfois vertement, le monde politique, d’interpeler la hiérarchie religieuse, de prôner la paix et le désarmement, de dénoncer la corruption politique, d’exhorter les femmes à travailler hors de chez elle, de réclamer à grands cris « l’instruction à la portée de tout le monde », de railler la Société Royale du Canada, « figuier desséché » qu’elle compare au mariage (« l’une est tombeau de la gloire, l’autre de l’amour »)… Bref, une journaliste comme on aimerait en avoir de nos jours.



Alexandra David-Néel (Saint-Mandé, 1868-Digne, 1969)



Après avoir entamé une carrière de cantatrice (elle se produira aux opéras d’Athènes et de Tunis), elle épouse à trente-six ans son amant Alexandre Néel. Décidée à ne pas avoir d’enfants, elle plante là un beau jour son époux pour partir seule explorer l’Inde. Bouddhiste de cœur, elle ira rencontrer le 13e Dalaï Lama en exil à Kalimpong (au pied de l’Himalaya), puis s’établira au monastère de Lachen dont le supérieur deviendra son maître spirituel. Ses lettres à Alexandre, qui fourmillent de détails passionnants, constituent un véritable journal de voyage (tome 1 : 1904-1917, tome 2 : 1918-1940), d’ailleurs publié comme tel. Au demeurant féministe à sa manière, si elle en veut aux hommes, elle n’est pas sans épargner les femmes : « Si elles étaient différentes, elles donneraient une autre éducation à leurs fils. »



Maryam Mirzakhani (Téhéran, 1977 -)



Elle a très tôt manifesté des dons exceptionnels qui ont obligé à lui faire suivre un enseignement pour surdoués. Détentrice d’un doctorat de l’université Harvard, particulièrement apte à manipuler des concepts abstraits (elle est, selon ses pairs, d’une « créativité exceptionnelle »), elle travaille essentiellement dans le champ des mathématiques pures (compréhension de la symétrie des surfaces incurvées). En 2014, elle est, à 37 ans, la première femme à se voir remettre la médaille Fields, équivalent du prix Nobel. Ses champs de recherche, appelés à un grand avenir, sont l’espace de Teichmüller, la géométrie hyperbolique, la théorie ergodique, l'espace de modules et la géométrie symplectique. Cela vous dit sûrement quelque chose…


Andrée Yanacopoulo


lundi 9 février 2015

Des cis et des trans


Des cis et des trans

Il y a une cinquantaine d’années, nous, les femmes, qui avions gagné le combat pour  l’obtention du droit de vote, affrontions de plein fouet l’organisation sociale responsable de notre infériorisation, ce monde où l’homme existe en soi : il est, et la femme, Madame ou Mademoiselle, n’existe qu’en fonction de lui – à savoir  le patriarcat. Après quelques années glorieuses, où s’est cristallisée notre conscience féministe et où s’est édifiée une solidarité qui dépassait les frontières nationales, le mouvement s’est peu à peu circonscrit, se concentrant sur la question du sexe, plus exactement sur la norme prévalente en matière de sexualité, à savoir  l’hétérosexualité.

Il fallait y arriver.

Et puis, on est allé bien plus loin. On a soutenu que, l’assignation sexuelle étant une construction sociale, on pouvait, et l’on devait au besoin, la détruire. D’ailleurs, pourquoi n’y aurait-il que deux sexes? se demande Anne Fausto-Sterling (Les cinq sexes : Pourquoi mâle et femelle ne suffisent pas, Payot, avril 2013). Et  voilà prôné le sexe à la carte, et voilà répartis  les êtres humains  en deux grandes catégories : ceux qui se sentent appartenir véritablement au sexe officiellement déclaré à leur naissance et donc à celui qu’affichent leur conformation externe et leur fonctionnement interne, hormonal principalement : les Cisgenres. Et ceux qui, en dépit du sexe mentionné par l’état civil, se sentent autres : les Transgenres. (Parmi ceux-ci, certains iront jusqu’à vouloir se transformer chirurgicalement, ce sont les transsexuels; leur cas n’est nullement concerné par mon propos, pas plus que ne l’est la question de l’orientation sexuelle, laquelle n’a rien à voir avec ce débat). Ainsi donc se trouve démasqué  le grand mythe de la biologie, cette biologie si longtemps respectée, pourtant menteuse, avare, même,  puisqu’elle limite sans vergogne les innombrables virtualités dont nous pouvons nous targuer. Bref, la reine est nue!  Telle est la  « révélation » qu’une petite poignée d’individus est actuellement en train d’arriver à imposer à une majorité ignorante et éberluée.

Il faut en sortir.

Qu’est-ce qui peut bien se passer dans la tête d’un homme1 qui dit « se sentir femme »? Il ne peut porter un enfant, il ne peut avoir de menstruations, il ne peut accoucher, il ne peut posséder de clitoris – cet organe merveilleux dont les hommes n’ont pas l’équivalent et qui n’a qu’une vocation : la jouissance. Un homme ne peut qu’emprunter le portrait impersonnel, l’idée toute faite de LA femme : cheveux longs, maquillage, robe (longue  de préférence), boucles d’oreille, talons hauts, etc., autrement dit, se rabattre sur un travestissement, plus, sur un portrait figé, en cours dans la société mais sans aucun lien avec une individue précise - bref, sur ce qu’on appelle un stéréotype. Et c’est là que réside le principal danger : la notion de transgenre conforte ces stéréotypes sexuels que, par le passé  nous, les femmes, avons  fortement combattus et dont nous avons fini par obtenir la suppression, notamment dans les manuels scolaires : « Papa travaille, maman s’occupe du ménage, de la cuisine et des enfants ».

Or, ce serait pour ces hommes l’occasion de justement les mettre à plat, ces stéréotypes, de s’habiller, de se parer, de se comporter « comme des femmes » tout en restant des hommes. Il n’y a, entre hommes et femmes, que d’infimes différences  psychologiques et comportementales inscrites véritablement dans notre organisme – encore que leur inventaire et leur retentissement sur la psyché  restent à préciser. Les femmes n’ont-elles pas pour la plupart fini par adopter une sorte de mode que l’on pourrait dire unisexe : pantalon, voire cravate, cheveux courts, etc. ? Pourquoi les hommes ne s’approprieraient-ils pas les signes  extérieurs de l’autre sexe sans pour autant se déclarer transgenres?

Car l’habit ne fait pas le moine… 
Andrée Yanacopoulo

1 Je ne parle que des hommes, car, pour le moment du moins, ce sont très majoritairement des hommes qui disent se sentir femmes. Encore un point à approfondir… « si la tendance se maintient ».

lundi 5 janvier 2015

Des voix de femmes - 1


Des voix de femmes d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui…

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Voyez, mes dames, comment ces hommes vous accusent de tant de vices de toutes pars. Faites les tous menteurs par monstrer vostre vertu et prouvez mensongiers ceulx qui vous blasment par bien faire.
(Christine de Pisan, Le livre de la Cité des Dames, 1402)

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Aucune époque ne posséda jamais une conscience aussi aigüe du sexe que la nôtre : les innombrables livres du British Museum, écrits par des hommes sur les femmes, en portent témoignage. La campagne des suffragettes est certainement responsable de cet état de fait. Elle a dû éveiller chez les hommes un extraordinaire désir d’affirmation d’eux-mêmes; elle a dû les inciter à accentuer leurs particularités d’hommes, leurs caractères distinctifs, ce à quoi ils n’auraient pas pensé s’ils n’y avaient pas été provoqués.
(Virginia Woolf, Une chambre à soi, 1929)

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Il n’y a peut-être pas d’indice plus déprimant de l’inhumanité qui caractérise l’esprit de suprématie masculine que cette tendance à refouler vers la classe dominée les traits humains les plus attachants : l’affection, la sympathie, la bonté, la gaieté. Parmi les caractéristiques que l’on qualifierait de fonctions féminines « nourricières », il y en a beaucoup que l’homme, semble-t-il, attribue à la femme parce qu’il ne les juge ni valables, ni utiles pour lui-même, et qu’il préfère rencontrer chez elle pour la simple raison qu’elles permettent à sa compagne de mieux subvenir à ses besoins à lui.
(Kate Millett, La politique du mâle, 1969)

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Moi, dit l’Euguélionne, j’ai subi le bain d’acide qui m’a révélée à moi-même et depuis ce temps, je ne puis supporter ma planète négative.
Si une femme a du génie, on dit qu’elle est folle. Si un homme est fou, on dit qu’il a du génie.
Transgresser, c’est progresser.
(Louky Bersianik, L’Euguélionne, 1976)

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Si je suis entrée dans la végétation c’est pour y faire surgir non pas le refoulé mais le déployé.
(Nicole Brossard, L’amèr, 1977)

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Je pense que, sans trop le savoir, quand, dans les années soixante-dix, nous avons soudain surgi sur la scène publique pour affirmer notre existence, nous avons désigné et assumé deux des enjeux majeurs de cette fin du XXe siècle et du XXIe siècle qui commence : celui de la transformation des rapports entre les sexes et de la transformation du régime de la génération et de la filiation. Même si nous n’avons pas mesuré dès le début l’ampleur du bouleversement que nous allions provoquer et/ou dont nous étions au moins le symptôme. Bien que je me défie de l’emphase, j’ose penser que nous – nous les féministes – avons été des actrices de l’histoire.
(Françoise Collin, Entretien avec Françoise Collin, Philosophe et intellectuelle féministe, par Florence Rochefort et Danielle Haase-Dubosc, 2006)


Andrée Yanacopoulo