mercredi 18 juin 2014

Du sexe et du genre

Du sexe et du genre

Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, les sociétés humaines ont  affirmé et mis en pratique la subordination des femmes. Avec des plus (je n’insisterai pas) et des moins (matrilinéarité : l’individu relève du lignage de sa mère, matrilocalité : après le mariage, le couple réside dans le village de l’épouse –  c’est l’inverse de notre dicton « qui prend mari prend pays »). Mais de matriarcat, point : historiennes et anthropologues ne se sont pourtant point fait faute de le chercher, et comme elles ne l’ont jamais trouvé,  il leur reste à expliquer cette universalité de la condition féminine.

Quant à notre dite « infériorité », les chercheurs ne se sont pas fait faute de la « démontrer ». Depuis les années 70 toutefois, les chercheuses, elles, n’ont eu de cesse  de déconstruire scientifiquement leurs plus superbes arguments « scientifiques ».  Il devint alors clairement établi que « on ne naît pas femme, on le devient » (Simone de Beauvoir). Le temps passant, la norme « hétérosexualité » est devenue la cible des luttes; les lesbianismes féministe et politique ont occupé le devant de la scène et le féminisme s’est, en gros, réduit à la lutte antisexiste et non plus antipatriarcale. Est alors apparue, nous venant des États-Unis, la notion de « genre » (gender), pour désigner les différences non biologiques entre les sexes : psychologiques, comportementales, sociales, politiques, etc., à savoir tous ces attributs induits par la socialisation, ce conditionnement qui inculque très jeune à l’enfant les normes socioculturelles auxquelles il doit se conformer pour être considéré comme normal, c’est-à-dire conforme à l’individu sexué qu’il est. Mais une enflure du terme s’est peu à peu produite : des individus biologiquement hommes se sont mis à se « sentir » femmes, des femmes   (curieusement moins nombreuses) se sont mises à « se sentir » hommes; il en est même qui se sont « sentis » d’un troisième sexe, d’autres enfin de tous les sexes… C’est là un phénomène hautement pernicieux : puisque nos compétences, nos dispositions, nos goûts, nos réactions, bref notre psyché, relèvent en grande partie d’un apprentissage, dire que l’on « se sent » de tel ou tel sexe biologique revient à endosser tous ces stéréotypes sexistes contre lesquels, en tant que femmes, nous avons tant lutté et continuons de lutter.  Autrement dit, non seulement la notion de « genre » est inutile, car elle n’apporte rien au débat, mais elle est délétère, car elle met à plat tout ce contre quoi nous n’avons cessé et ne cessons de lutter.

Continuons en conséquence à parler de « sexe biologique » et de « sexe social ».

Andrée Yanacopoulo

3 commentaires:

  1. Bonjour Madame Yanacopoulo,

    Réaction à retardement à votre article «Du sexe et du genre» paru, le mois dernier, sur le site de PDF Québec, dont je suis membre. D'accord sur toute la ligne avec ce que vous expliquez si brillamment dans cet article.

    Sauf pour une phrase du premier paragraphe: «Mais de matriarcat point: historiennes et anthropologues ne se sont pourtant point fait faute de le chercher, et comme elles ne l'ont point trouvé, il leur reste à expliquer cette universalité de la condition féminine».

    Vous connaissez sans doute le livre assez récent de la préhistorienne Marylène Patou-Mattis, Préhistoire de la violence et de la guerre. Elle démontre qu'une forme de matriarcat a existé avant le patriarcat. Du temps ou les dieux étaient des déesses. Elle préfère, à la suite d'une autre préhistorienne Marija Gimbutas, parler de société matristique, arguant que la composante arcat (du grec: commander) est inutilement empruntée à patriarcat. Une société non patriarcale, c'est-à-dire non commandée par les hommes, est de ce fait mons violente et moins hiérarchisée. Il fut donc un temps où les femmes et les hommes ont évolué sur un pied d'égalité. Mais le pouvoir manifeste des femmes sur la vie commandait le respect. Si bien que les premiers dieux étaient des déesses et que dans l'organisation des groupes humains les femmes avaient un pouvoir de coordination et de pacification.

    Il est vrai que la domination mâle est très ancienne et si universellement ancrée dans les moeurs qu'on l'a longtemps considérée comme relevant d'une loi naturelle, voire divine. Aujourd'hui, il est devenu évident que l'idéologie patriarcale est une émanation de la volonté et de l'esprit de l'homme mâle. Je crois que l'institution patriarcale a eu un commencement et aura certainement une fin. C'est en quelque sorte le péché originel de l'humanité, au sens que c'est la première faute grave d'un groupe dominant contre le droit inné de tous les êtres humains à l'égalité et à la dignité, sans égard à la différence des sexes.

    Vôtre,

    Jacques B. Gélinas.

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  2. Je ne connaissais pas cet ouvrage - je l'ai commandé et ferai part de mon sentiment ici même. Merci de me l'avoir indiqué: je suis impatiente de le lire. À priori toutefois, je me demande si - à moins de preuves formelles - l'on peut induire de la présence de déesses la non-domination des femmes (les hommes alors ne savaient pas leur rôle dans la procréation), car ce qui est important, c'est de savoir qui dirigeait le groupe, autrement dit, c'est la question du politique, non?
    Andrée Yanacopoulo

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  3. De mes propres terrains en Afrique australe (ainsi qu'en Europe orientale) et du côtoiement de la matrilinéarité, occultée en quelque sorte par les Portugais l'intitulant matriarcat, j'inclinerais en tant qu’ethnologue et féministe pour le propos d'absence historique de matriarcat -au sens de système matriarcal, politique s'entend-
    Voyageurs, explorateurs et savants, avec l’empreinte de la philosophie de Baschoffen, ont introduit le terme matriarcat en symétrie de patriarcat, alors que les sociétés matrilinéaires où ils étaient reçus dirigées par pères et frères de la fille (donc dites avunculaires), fussent-elles constatées uxorilocales (au domicile de l'épouse) ou matrilocales (celui de la mère) ; le chef sorcier souvent pour les honorer et obtenir quelques prébendes (don contre don... ) leur envoyait dans la case une de ses filles ou femmes... De plus, en matrilinéarité, les féminicides de toutes sortes sont surabondants, et ils n'ont pas même de nom, au point où ils sont conçus comme naturels et dans l'ordre des choses... On connait déjà cette antienne.
    En outre, ceux-ci crurent souventes fois que cela démontrait la liberté sexuelle des femmes (la bonne blague  ; alors que cela n'indiquait que ce qui n’est que de la "prostitution hospitalière". Ils propagèrent aussi l’idyllique rêverie de que les femmes libres et s'entraidant au sein de la polygamie non itinérante. Certes dans les sociétés matrilinéaires, il n'y a pas de gynécée, de harem dans le kraal, la concentration des filles au même endroit reste le fait de société patrilinéaire généralement.
    De la même façon, adorer la mère, vu en matrice, en terre, en source, en nourricière, déifier ne démontre pas que les filles aient été respectées ou aient bénéficiées d'égalité de pouvoir et de droits coutumiers... L'on ne voit pas exactement, bien que les travaux de Gimbjutas soient bien sur passionnants, où et comment ces sociétés auraient été non hiérarchisées et favorables, donc prétendues très évoluées, jouxtant ou survivantes d’un hypothétique communisme primitif. Tant que le religieux fût au sommet politique et maintenant que ce profil la séparation du politique et du religieux mais avec quelle difficulté se fait l'accouchement, il est vrai que la sacralisation féminine tentait de faire peser la balance en faveur de la protection des femmes mais sans remporter la bataille. Par exemple, le culte marial (qui véhicule l'antique croyance dans les déesses supranaturelles) n'a pas permis d'aller au terme du respect du aux femmes car s'étant focalisé encore une fois sur la fonction maternelle.
    Les reines, les guerrières dirigeant les groupes ont perpétué toutes à ma connaissance les règles patriarcales au complet et ne se sont extirpé, pour ce que j'en sais, d'aucune manière du système patriarcal ; et, pour cause, aucune n'a semblé en avoir conscience. Pour combattre un ennemi, il faut le voir, l'identifier et le viser.
    Des peuples continuent à ne pas savoir le rôle mâle ou femelle dans la fécondation, cela ne fait pas de ces ethnies des lieux dénués de patriarcat et cela ne me parait pas non plus suffisant pour rester enfermées dans une perspective d’analyse dichotomique de domination.
    Concernant la naturalisation du genre (sexuel) ou sexe social -que pour ma part je circonscris en "sexage"- en cours par des pressions de plusieurs origines idéologiques et par le biais de l'identité de genre entre autres, je vous soumets deux de mes textes à ce sujet (qui ne sont pas les seuls) et vous en souhaite bonne lecture :
    http://susaufeminicides.blogspot.fr/2014/03/lobsession-identitaire-fait-ecole.html
    http://susaufeminicides.blogspot.fr/2013/10/feminicide-categorie-genericide.html

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